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Notes sur les politiques d’insertion

Sociologie et Anthropologie Travail social

17 Sep 2020

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Couverture du n° de la revue ARSS "Nouvelles formes d'encadrement"

Note de lecture de :

Gérard Mauger, 2001, « Les politiques d’insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°136-137, pp. 5-14, en ligne.

Gérard Mauger, sociologue né en 1943, est directeur de recherche émérite au CNRS, où il a collaboré avec Pierre Bourdieu. Il étudie depuis plusieurs décennies la construction sociale des âges de la vie, et notamment la jeunesse. Une partie importante de ses travaux concernant les jeunes issus de classes populaires et les dispositifs d’encadrement qui leur sont spécifiquement dédiés. C’est ainsi que, dans un article publié il y a une vingtaine d’années dans la revue fondée par Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales, le chercheur s’est penché sur les politiques d’insertion, leur histoire et leurs enjeux.

Il fait ainsi observer qu’au tournant des années 1970-1980, l’insertion s’est imposée comme un « label » regroupant des « réponses étatiques » à « l’exclusion », le chômage des jeunes. Ces réponses s’imposent et se définissent à travers les rapports entre différents groupes d’acteurs impliqués, qui de cette manière structurent un champ de l’insertion « objectivement orchestré mais sans chef d’orchestre » (p.5).

Les deux âges de l’insertion (p.5)

On peut estimer que la notion d’insertion émerge dans les années 1970 à travers des rapports parlementaires, et prend forme notamment avec le rapport de Bertrand Schwartz sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. L’insertion se concentre alors sur les « nouveaux pauvres » et les jeunes et tire ses influences de diverses sources des années 1960 (catholicisme social, personnalisme, JOC, ATD Quart-Monde…) Les enjeux de l’insertion comportent à ce moment-là une dimension économique mais aussi et surtout une dimension « citoyenne », notamment pour les jeunes (p.6), dimensions qui font prévaloir à l’époque un « modèle psycho-éducatif » (p.10).

On reproche en effet de plus en plus au système scolaire son retard sur l’évolution du monde économique et son décalage avec les attentes des entreprises : des mesures prises sous le gouvernement de Mauroy cherchent à « ajuster les produits scolaires (ou du moins certains d’entre eux) aux transformations de la demande patronale » (p.7). Ce « premier âge » de l’insertion fait prévaloir un « logique éducative » nouvelle à travers les stages, formations et expérimentations d’insertion par l’économique, qui seront petit à petit étendus aux chômeurs.

Le RMI quant à lui marque un « deuxième âge de l’insertion » au cours duquel « le chômage est alors imputé à l’inemployabilité » des gens : « la mise au travail (…) devient le nouveau pivot de l’insertion » (p.7). La lutte contre l’exclusion et la « fracture sociale » ont le vent en poupe dans les années 1990 mais elles suivent une logique différente : « « l’esprit d’entreprise » devient le principe structurant de toutes les stratégies d’intervention sociale, « l’individualisation » devient le fil conducteur des modalités d’intervention » (p.7). Tout un « tiers-secteur » se développe alors, l’économie sociale et solidaire, promue par certains sociologues et économistes pointés par Mauger. Que s’est-il passé entre ces deux âges ? Il faut examiner  les « changements sociaux » retranscrits par les statistiques et les médias (p.8).

Représentations statistiques et médiatiques et agenda politique (p.8)

Au début des années 1980 des débats médiatiques (« été chaud », question jeune, « nouvelle pauvreté »…) aboutissent aux rapports Schwartz et Bonnemaison et à la politique de la ville, de même que des constats statistiques sur la montée de l’emploi atypique font prendre conscience de ce que R. Castel appellera « l’effritement de la société salariale » (cité p.8). Différents mécanismes sociaux se mettent en oeuvre et structureront le champ de l’insertion, sous l’effet d’enjeux politiques et professionnels.

Enjeux politiques (p.8)

Les différents responsables politiques cherchent alors tous à montrer qu’ils tentent de prendre en charge la question du chômage et de la nouvelle pauvreté, et donnent l’impression qu’il y aurait une « insertion de gauche » et une « de droite » (p.8) alors que « la mise en scène des divergences dissimule la convergence au fil du temps » : il s’agit pour tous d’essayer de contenir ou réparer les dégâts des politiques économiques néolibérales, voire d’en dissimuler les effets en focalisant le regard sur la « mise en cause des habitus non conformes aux attentes des entreprises comme barrières à l’emploi » (p.9). On peut faire deux hypothèses à cette rationalité politique commune : d’une part, les promoteurs de l’insertion sont très influencés par le catholicisme social, qui se situe plutôt dans des « espaces neutres » et au centre de la vie politique ; d’autre part, la convergence des politiques néolibérales déplace le curseur de la distinction politique vers les questions de « vertu » et notamment de « sollicitude » mise en scène en direction des « exclus » (p.9).

Enjeux professionnels (p.9)

Il ne faut pas oublier également que l’insertion est aussi un « gisement d’emplois sociaux » et sert aussi tout simplement à « insérer les inséreurs ». Les compétences extra-professionnelles sont valorisées et font apparaître l’insertion comme la « prise en charge des exclus du système scolaire par des relégués du système universitaire » (p.10). L’émergence de l’économie sociale et solidaire et l’insertion par l’activité économique fournissent à ce titre de nombreux postes.

L’insertion d’ailleurs est en grande partie définie par ceux qui y travaillent : d’où un élargissement progressif de leurs prérogatives vers les interventions psychologiques (p.10) mais aussi vers des dimensions de plus en plus existentielles : c’est ainsi qu’émerge l’insertion sociale, notamment avec le RMI (p.10-11). Il y a « extension indéfinie du domaine de compétence des inséreurs » (p.11). La loi de 1992 étend d’ailleurs les actions d’insertion dans le cadre du RMI à « toutes les activités à même de mobiliser l’individu (…) » (citée p.11). D’où une difficulté à mesurer, évaluer le fruit concret du travail d’insertion.

Une opération d’alchimie symbolique (p.11)

Les politiques d’insertion redéfinissent le chômeur et le chômage en se focalisant sur les « déficits » individuels, ce qui crée une « anormalité d’entreprise » aveugle aux politiques économiques et aux causes structurelles du chômage : « les sans-emploi sont alors perçus comme la cause de leur chômage » et endurent des représentations de plus en plus négatives, qui les assimilent à des nouveaux « handicapés sociaux » (p.11). Les populations sont hiérarchisées et intégrées dans les différents dispositifs selon leur « scolarisabilité » et leur « employabilité » et donc triées et contrôlées. Cette vision séparant le monde social entre inclus et exclus brouille l’analyse des rapports entre classes sociales, et contribue notamment à « défaire », diviser et démoraliser la classe ouvrière à travers des « luttes de classement » internes (p.12).

L’encadrement de jeunes « sans affectation » (p.12)

Les dispositifs d’insertion sont aussi une « gestion occupationnelle du chômage » adressée à certains jeunes pour les « faire patienter » et les « soustraire à la culture de la rue » : « Le stage fait patienter en substituant à la conscience nue de l’absence d’avenir (no future) celle d’un avenir différé, invente « le jeune à perpétuité » » (p.12). Les logiques de parcours et les multiples « formules » mises au point pour tenter d’insérer relèvent de « l’illusionnisme social » et de la « consolation » (p.13). Les contrats atypiques s’expérimentent et se multiplient dans le champ de l’insertion et, en se diffusant, contribuent paradoxalement à déstabiliser davantage le modèle salarial car de plus en plus d’entreprises y ont recours.

L’inculcation d’habitus flexibles (p.13)

« Ces dispositifs visent à l’inculcation d’un habitus flexible, responsable, autonome, docile, etc. » (p.13), en remplacement d’une potentielle « culture de la rue », en vue que chacun devienne « entrepreneur de soi-même » (p.13). Cela se repère notamment à travers la culture de « projet » et le rapport au temps qu’elle comporte. L’insertion est une forme « d’orthopédie morale », de « transformation des propriétés morales, sociales et professionnelles » des gens pour les mettre en accord avec la « culture d’entreprise » (p.14).

Éthique du travail social et esprit du néolibéralisme (p.14)

L’éthique portée par les « inséreurs » semble objectivement en cohérence avec l’idéologie néolibérale, car elle part du postulat que l’entreprise et l’esprit d’entreprise sont porteurs et créateurs de cohésion sociale, de « citoyenneté » (p.14).

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