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« Squatteurs » et « fermiers » : un film sur la vie à la ZAD (2018)

Politique

09 Avr 2018

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Critique du film :

Batiste Combret, Bertrand HagenmüllerLes pieds sur Terre, Paris, Les Mutins de Pangée, 2018

Critique diffusée sur le site Lectures

La bande-annonce :

https://www.youtube.com/watch?v=DgwuHEsO-yM 

 


Depuis les années 1960, collectivités locales, services ministériels et leurs alliés institutionnels ou entrepreneuriaux projettent la construction d’un aéroport à quelques kilomètres au nord de Nantes. Dès les années 1970, la « zone d’aménagement différé » (ZAD) établie par les autorités pour la construction couvre plusieurs espaces naturels, notamment les bois, bocages et landes humides situés à Notre-Dame-des-Landes. Ce projet est immédiatement jugé catastrophique et irrationnel par les opposants, en particulier sur les plans écologique et socioéconomique [1]. Après avoir été mis en suspens jusque dans les années 2000, le projet est remis au goût du jour sous l’impulsion du gouvernement Jospin et de Jean-Marc Ayrault, à l’époque maire de Nantes. Les mouvements de lutte reprennent alors sur la ZAD (le sigle administratif a pris une signification légèrement différente : « zone à défendre ») et ailleurs, les débats sont intenses. De nouvelles populations s’installent, ou se mobilisent, en soutien aux personnes qui vivent et/ou luttent sur place depuis parfois des décennies [2]. L’addition de ces forces et leur ténacité ont sans doute largement contribué à la victoire qu’elles ont remportée avec l’annonce il y a quelques mois à peine par le gouvernement de l’abandon de son projet de construction d’un aéroport. C’est la rencontre entre ces deux mondes, « fermiers » et « squatteurs », comme ils s’appellent eux-mêmes mutuellement, que retrace le documentaire Les pieds sur terre[3].

Batiste Combret, travailleur de l’audiovisuel, et Bertrand Hagenmüller, sociologue et réalisateur de films documentaires[4], sont allés entre décembre 2012 et mai 2015 interviewer des habitants du Liminbout, un « hameau » situé sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Ce « lieu de passage » comme le dit l’une des personnes interviewées, est l’un des rares endroits où, à l’époque du tournage, les différents types d’habitants se croisaient. Les deux auteurs s’y sont immergés, pour tenter de restituer le quotidien des habitants, et surtout les discours de ces derniers au sujet de leur village, de leur cohabitation et de leur lutte. Au fil des extraits d’entretiens et des séquences de vie présentées sans commentaires, Combret et Hagenmüller donnent la parole à leurs interlocuteurs sur différents sujets : leur installation sur place, la façon dont ils prennent part (ou pas) aux luttes, le regard que « fermiers » et « squatteurs » portent les uns sur les autres. À l’opposé de l’image de la ZAD qui est généralement présentée dans les médias, et qui relève de la « désinformation »[5], le spectateur découvre ce qui relève plutôt d’un lieu de vie peuplé par différentes personnes, en quête de tranquillité et de respect de leurs modes de vie.

Le premier groupe d’interlocuteurs est celui des « fermiers ». Ils sont attachés à la terre par des liens familiaux ou professionnels. Ils ont été stupéfaits que le projet soit remis d’actualité par les socialistes dans les années 2000. Au fil du temps, ils ont pu devenir méfiants : ils apprennent à refuser les négociations après s’être fait trop souvent « entuber » ; ils gardent des distances avec les « squatteurs », les « zadistes ». Les squatteurs quant à eux sont plus jeunes, et cherchent, pour différentes raisons, à s’éloigner des modèles dominants dans le reste de la société. L’un des fermiers interviewés confie qu’ils le font penser à des « manouches », au sens de vagabonds, bohémiens. Ces nouveaux arrivants peuvent se sentir différents des fermiers, car leurs rapports à la terre et à la ZAD diffèrent : « on va pas leur dire ce qu’ils ont à faire », annonce une squatteuse, tout en confiant qu’elle se demande si les fermiers savent à quoi les engage, littéralement, le fait de rester installés sur place. Sur le plan de l’idéologie comme du mode de vie, les points de vue peuvent être divergents entre « squatteurs » et « fermiers », entre ceux qui sont ancrés dans une marginalité sociale et ceux qui craignent à l’idée de s’écarter trop de la norme. C’est le cas par exemple de l’adoption de méthodes biologiques d’agriculture : beaucoup de « zadistes » estiment qu’il est inacceptable que des « agriculteurs conventionnels » revendiquant de rester installés à la ZAD n’adoptent pas des méthodes biologiques, tandis que ces derniers se justifient en pointant le coût financier trop important que cela implique pour eux.

Malgré une certaine distance sociale, la plupart des fermiers interrogés apprécient la présence de démarches « militantes » chez les nouveaux habitants, qui leur apportent un « soutien » important. Réciproquement aussi, les squatteurs s’aperçoivent qu’ils peuvent vivre en « connexion » avec les fermiers en plus de contribuer à la même lutte et de subir la même répression. La zone était pendant un moment « une marmite qui boue ». En effet, en plus de l’incertitude quant à savoir s’ils allaient être expulsés ou pas, les habitants n’étaient pas souvent tranquilles, en raison de la forte présence policière. Beaucoup rapportent qu’ils se sentaient enfermés chez eux. Une solidarité et une proximité se sont développées à travers la lutte, car celle-ci semble faire l’unanimité parmi les habitants : ils ont conscience d’être différents les uns des autres, mais se rejoignent autour de l’idée que « tu n’es pas forcé de construire ce que la société te dit de construire », comme le résume l’un des fermiers. Au fil du temps, ils ont construit ensemble un peu plus qu’une lutte, puisque des liens de voisinage ont vu le jour, grâce aux moments de partage et d’entraide. L’une des squatteuses fait d’ailleurs remarquer que vivre en squat à la ZAD était très différent de vivre dans des environnements urbains où domine l’habitat collectif, car les squatteurs ne peuvent être aussi renfermés sur leur groupe et leur bâtiment.

À travers un documentaire rendu épais et sensible par les longs extraits d’interviews d’habitants du Liminbout, sans aucun autre commentaire, les deux auteurs ont su montrer que malgré les différences, les habitants de ce petit hameau contribuaient ensemble à construire un autre monde, à pratiquer un rapport différent à la nature, au « système de la consommation », comme dit l’un des fermiers, et aux institutions publiques ou entrepreneuriales qui les menacent et les harcèlent. Le DVD édité depuis un mois par la coopérative Les Mutins de Pangée [6] propose par ailleurs en complément du film plusieurs extraits d’entretien qui offrent d’autres tranches de vie des habitants. Un dernier écho à l’idée qui nous vient en regardant le film, en écoutant la parole des gens et en observant leur cadre de vie : l’évolution vers un mode de vie plus épuré et plus simple pourrait bien impliquer l’évolution de la pratique et de la posture politiques elles-mêmes.

Bande-annonce du film « Les pieds sur Terre »

Notes de bas de page :

[1] Voir la version lyber du livre Contrées sur le site Constallations : https://constellations.boum.org/spip.php ?article147.

[2] Voir un des principaux sites internet des opposants : https://zad.nadir.org/.

[3] Le site officiel du film : http://les-pieds-sur-terre.fr/.

[4] Voir le site de Hagenmüller présentant ses différents films : http://www.hagenmuller.eu/hagenmuller.html.

[5] Lemaire Frédéric, « Désinformation sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : les médias au garde-à-vous », sur le site d’ACRIMED : http://www.acrimed.org/Desinformation-sur-la-ZAD-de-Notre-Dame-des.

[6] Page du film sur le site officiel de la coopérative : http://www.lesmutins.org/les-pieds-sur-terre.

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