Fonction ou engagement ? La prévention spécialisée face à l’incertain
Sociologie et Anthropologie Travail social
17 Août 2022
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Article :
Jonathan Louli, 2021, « Fonction ou engagement ? La prévention spécialisée face à l’incertain », in VST – Vie sociale et traitements, 2021/4 (N° 152), p. 96-102.
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La page de la revue VST – Vie sociale et traitements sur le site de l’éditeur érès
La page du n° 152 consacré au « travail de rue » (sommaire disponible en PDF)
Résumé :
Ce texte synthétise certains résultats de recherches et d’expériences explorant le métier d’« éduc’ de rue ». Les collègues rencontrés pensent différemment leur travail, mais en puisant dans un espace intellectuel partagé. Certains voient leur boulot plutôt comme une fonction professionnelle, d’autres plutôt comme un engagement… Mais, au vu de l’histoire de la prévention spécialisée et de ses incertitudes actuelles, on peut se demander : un engagement au nom de quoi exactement ?
Mots-clefs :
Prévention spécialisée, sociologie, anthropologie, institutionnalisation, engagement, sens du travail, analyse anthropologique des pratiques
La présente réflexion tente de creuser, reformuler, voire dépasser, le constat, tristement banal, selon lequel « la prévention spécialisée va mal ». Prenons les choses à leur racine : qui est, qui fait, la prévention spécialisée, concrètement ? Qui va mal, exactement ? En pratique, la prévention spécialisée c’est avant tout ses travailleur·euses de terrain, en lien direct et quotidien avec les populations. Comment donc vont les éduc’ de rue, comment vivent-ils leur boulot ? Que font-ils, quel sens donnent-ils à leur activité ? J’ai exploré ces questionnements à l’occasion de mes recherches en sociologie et anthropologie[1], de mes expériences professionnelles et militantes en tant qu’éducateur de rue, à travers des échanges avec des collègues de différents services et départements. Ce dont je me suis aperçu, c’est que les difficultés qu’on peut avoir à démêler les « paradoxes »[2] de la prévention spécialisée en l’observant de l’extérieur peuvent être bousculées en étudiant de « l’intérieur » l’activité des travailleur·euses de ce secteur, c’est-à-dire la manière dont ils la pensent.
Il faut dans un premier temps se rendre compte que le contexte dans lequel travaillent actuellement les collègues, fruit d’une histoire brève mais riche, les met face à des héritages contradictoires. La démarche socioéducative initiale, qui se positionnait dans une marginalité créative revendiquée, est désormais institutionnalisée et professionnalisée. Dans ces conditions, la « quête de sens » (Louli, ibid.) de la prév’ peut-elle encore se réduire à vouloir perpétuer un quelconque esprit originel ? Les contextes et acteurs ont tellement évolué que l’enjeu me semble plutôt être, pour commencer, d’investiguer l’espace intellectuel et conceptuel dans lequel les travailleur·euses puisent pour construire le sens de leur pratique. Ma démarche relève ainsi de l’analyse des pratiques dans une perspective anthropologique, centrée sur l’étude attentive des discours des collègues, et l’observation en situations. À une première polarité de cet espace intellectuel, certaines attitudes rencontrées parmi les collègues admettent l’institutionnalisation de cette pratique, ce qui fait apparaître celle-ci comme une fonction professionnelle réglementée et calibrée sur la commande des tutelles et des hiérarchies. À une autre polarité s’observent des attitudes qui se revendiquent comme étant sous-tendues par un idéal socioéducatif, ce qui amène plutôt à voir le métier comme un engagement. Tensions d’une polarité à l’autre, quant à la manière dont les collègues se construisent leurs équilibres, leurs postures : tel est le sujet que ce texte aborde de manière synthétique.
La « prév’ », un champ d’activité envahi par les O.G.M (organismes gestionnairement modifiés)
L’émergence de la prévention spécialisée en tant que champ professionnel réglementé peut apparaître comme un processus fort paradoxal (Louli, ibid., p. 15 – 35). Ce secteur hérite en effet de la critique adressée aux « bagnes d’enfants », aux internats éducatifs, aux « asiles d’aliénés », à toutes les institutions qui, en multipliant les « avortements sociaux »[3] d’enfants déviants, étaient amenées à perpétuer « l’ordre bourgeois » (Le Rest, ibid., p. 23 – 29). Les débuts de ce qu’on appellera la prévention spécialisée ont été portés par la volonté de différents acteurs d’organiser une présence socioéducative en marge d’un environnement institutionnel et idéologique déterminé, parfois dans une « quasi-clandestinité »[4].
Ce mouvement en marge a ainsi pu, à un moment donné, apparaître comme un espace-temps à la bordure des champs institués, dans lequel se déployait une posture plus libre que celle qui était assignée dans les champs en question : « la posture est celle de l’aller vers – l’ouvert conflictuel – en lieu et place d’un confinement dans des enclos séparés et délimités par des bornes qu’arpentent les seuls spécialistes, adoubés dans des jeux institutionnels de pairs » [5].
Les contextes institutionnels et historiques ont évolué. La démarche d’action dans le « milieu des gosses », alternative à l’institué, a fini par s’institutionnaliser, transformant l’ancienne marge en champ professionnel réglementé : « C’est une crise sacrificielle qui fait passer le mouvement dans le moule de l’institution, de manière très progressive et même imperceptible pour une grande partie des acteurs et des témoins […] Le sacrifice est imposé par la pression des autres institutions et, éventuellement, par la pression directe de l’État, de la classe dominante, désireux de faire rentrer dans le rang, en les transformant en « matières sociales » échangeables, les forces instituantes du mouvement oppositionnel […] Du mouvement (moment prophétique) découle un processus d’institutionnalisation qui fait passer la forme sociale du groupe à l’organisation puis à l’institution »[6]. En somme, l’histoire de l’actuelle prévention spécialisée peut être comprise comme l’histoire de la progressive domestication institutionnelle et règlementaire d’une alternative, d’une marge créative et subversive. On est désormais à des années-lumière des « foyers de prévention » expérimentés au milieu des années 1940 par Fernand Deligny dans les quartiers populaires de Lille, où ce dernier embauchait des ouvriers et chômeurs du coin pour fraterniser avec les petits délinquants et leur inculquer une conscience de classe…
L’institutionnalisation s’observe dès la fin des années 1950, à travers les polémiques sur la prise en charge des « blousons noirs », suivies par de vives controverses entre partisans et opposants des premiers financements publics[7]. La « torsion » entre autonomie et reconnaissance institutionnelle[8] se poursuit avec la formalisation règlementaire de l’activité, qui survient, en 1972, dans un contexte politique général de « rationalisation de l’action sociale » (Pascal, ibid., p. 178). L’emprise de la puissance publique se resserre avec la décentralisation, la démarche qualité, la « métropolisation », la « municipalisation », et, dernièrement, avec l’annonce de députés de vouloir faire de la prévention spécialisée une « politique publique à part entière »[9], dans un contexte d’hystérie sécuritaire et d’industrialisation du travail social[10] : Deligny se retournerait dans sa tombe…
Postures assignées en prévention spécialisée : le métier d’éduc’ de rue comme fonction
On peut comprendre que, dans ces conditions historiques et institutionnelles, la prévention spécialisée en tant que secteur donne dorénavant une image profondément incertaine, en tension entre différentes logiques. Cependant, autant les collègues interrogés durant mes recherches, que ceux côtoyés lors de mes expériences d’éducateur de rue et de militant, m’ont fait observer que les principales difficultés dans ce métier proviennent rarement des territoires d’intervention ou des personnes rencontrées, mais bien plutôt des conditions de travail et de ce que j’appelle les assignations instituées. Impératifs budgétaires, fonctionnements des services, procédures gestionnaires, inerties institutionnelles, « démarches qualité » déconnectées du réel, directives hiérarchiques, organisation du travail, emprise des « autorités de tarification », obligations réglementaires, tensions partenariales… bref : les assignations instituées sont tout ce à quoi sont assignées et obligées les personnes engagées dans ce secteur professionnel, et qui institutionnalise celui-ci comme tel.
Ces assignations peuvent représenter d’importantes contraintes. Elles peuvent biaiser ou entraver les relations humaines avec le public, brider la pratique, éroder les principes et manières de penser l’activité, rendre intenable la posture, et ainsi, laisser dans l’incertain quant au sens du travail… Retraité depuis le début des années 2010 après une carrière entière en prévention spécialisée, le fondateur du club de prévention dans lequel j’ai mené ma première recherche estimait : « Le métier d’éducateur de rue est devenu plus difficile parce que les collègues ne peuvent plus aller aussi loin qu’on allait… ». Les assignations instituées nourrissent ainsi un sentiment de subordination et de vulnérabilité face aux instances de tutelle et aux hiérarchies : « ils font la pluie et le beau temps », comme m’ont parfois dit des collègues à propos des financeurs. Ce sentiment est renforcé par le nombre restreint d’éduc’ de rue en France, et surtout, par le fait qu’il n’existe aucune organisation nationale dédiée à la structuration et à la défense de leurs intérêts propres[11]. Dans ce climat de plus en plus « morose » (Le Rest, 2019, ibid., p. 30), l’espace intellectuel des travailleur·euses en prévention spécialisée comporte différents raisonnements et attitudes possibles à l’égard des multiples assignations instituées.
Tout d’abord, des attitudes que j’ai appelées « professionnalistes », car elles semblent accepter ces assignations sans esprit critique, postulant que nous devons exécuter ce que les financeurs, employeurs et législateurs commandent (Louli, 2019, ibid., p. 92-94). D’autres attitudes également, plus résignées, voire mélancoliques, qui subissent ces assignations comme des fatalités, sans espoir ou volonté d’y changer quoi que ce soit (Louli, 2019, ibid., p. 85-92). Ces attitudes, observées lors de mes recherches et décrites dans certains de mes travaux, je les ai également croisées lors de mes expériences d’éducateur de rue et dans des échanges avec des collègues d’autres services. Exemple de situation de plus en plus tristement banale : lors d’une réunion associative, mon directeur de l’époque nous annonce qu’il a décidé la mise en place de « fiches de suivi » des jeunes, comportant leurs noms, coordonnées, problématiques individuelles, dates de rendez-vous… Avec certains collègues, nous questionnons alors l’usage de ces fiches, leur destination, les précautions qui seraient prises pour respecter notre secret professionnel, pour recueillir l’accord des jeunes et des familles quant à la divulgation d’informations. Le directeur n’a pas eu à se positionner : une première collègue m’explique gentiment que si je m’y prends bien avec les jeunes rencontrés, je saurai recueillir leur consentement pour rédiger des fiches à leur sujet, et ainsi répondre à la commande institutionnelle. Devant mon scepticisme, un autre collègue, aspirant chef de service, clôt le débat en me disant : « De toute façon c’est les financeurs qui demandent qu’on fasse ça, on n’a pas le choix » – ce qui, après m’être renseigné auprès d’autres collègues du département, s’est avéré complètement faux.
La spécificité de ces attitudes « professionnalistes » et/ou « fatalistes » est bien qu’elles amènent à concevoir l’activité d’éduc’ de rue comme relevant de postures assignées plutôt que revendiquées, c’est-à-dire comme relevant d’une fonction plutôt que d’un engagement. Ces attitudes et raisonnements impliquent donc que la remise en question de l’ordre établi est inutile ou illégitime, alimentant de fait un certain « conformisme ». Par fatalisme, une éducatrice interrogée lors de mes recherches en est ainsi venue à tenir des discours fortement ancrés dans ce conformisme : « on rentre dans les cases, pour moi, ou on n’y rentre pas. C’est trouver du travail, enfin ça c’est aussi la réalité, malheureusement, quoi, c’est trouver un emploi pour pouvoir avoir un salaire, avoir un logement, pour pouvoir s’installer avec son copain, fonder une famille […] Je suis pas là pour les faire rentrer dans les cases, mais d’un autre côté, c’est compliqué de s’en sortir autrement, quoi, pour eux… Mon rôle d’éducatrice c’est aussi de défendre toutes les valeurs qui sont associées à ce système-là. La valeur par exemple du travail, un père de famille, l’image qu’il va renvoyer par rapport à son enfant, au niveau de la valeur travail, mais aussi au niveau de la place du père ». Les attitudes « professionnalistes » et/ou « fatalistes » peuvent ainsi amener les collègues à considérer que chacun doit s’adapter au monde social, et pas l’inverse. Ces attitudes peuvent également alimenter un « pseudo-colonialisme »[12] à l’encontre du public et brider ses capacités de « développement endogène »[13] : suivant ces visions de la prévention spécialisée, amener les gens à rentrer dans les normes peut devenir une fin en soi pour les éducateur·rices, ou du moins, leur dernière alternative.
Postures revendiquées en prévention spécialisée : le métier d’éduc’ de rue comme engagement
Il existe également des attitudes plus critiques, voire défiantes, à l’égard des assignations instituées. Un certain nombre de discours que j’ai entendus déploraient l’invasion des logiques gestionnaires ou sécuritaires dans leur activité. Pas moins courantes que les attitudes conformistes, ces conceptions tentent de tenir l’activité quotidienne à distance d’une part plus ou moins grande de ces assignations, et prennent d’autres références pour construire du sens : « nous, les gros objectifs, les gros axes, les bazars, les trucs, c’est bien pour cadrer, mais nous ce qui nous intéresse c’est ce qu’on voit, ce qu’on observe, les détails, quoi, c’est à dire qu’il y a des choses qui se passent, qu’on pourra jamais évaluer, mais qui pourtant sont valorisantes », m’expliquait durant mes recherches un éducateur de rue en parlant de lui et son binôme. À travers ce genre d’attitudes, les collègues façonnent des compromis, des réinterprétations, des pas de côté, par rapport aux assignations qui institutionnalisent le secteur professionnel : on fait avec, ou malgré elles, quitte à ruser.
Ces attitudes indiquent que toute une partie de l’activité ne peut être pensée comme relevant d’un travail d’exécution des règlements, actes techniques et autres procédures… Elles évoquent une recherche de la « bonne distance » avec les assignations instituées, une recherche de marges de manœuvre, au nom d’idées supérieures à ces assignations dans la construction de la posture. Ces attitudes critiques amènent à concevoir l’activité d’éduc’ de rue comme relevant de postures revendiquées plutôt qu’assignées, c’est-à-dire comme relevant d’un engagement plutôt que d’une fonction. Cette prise de distance avec les assignations instituées et avec la condition d’exécutant subordonné semble indiquer qu’une dimension d’engagement traverse toujours, sous d’autres formes, l’actuel secteur de la prévention spécialisée.
Des régions entières de l’espace intellectuel partagé par les collègues de prévention spécialisée nourrissent ces postures revendiquées, comme l’indique l’étude des discours des collègues. Le postulat, ou idée de base, de ces postures, est que l’activité d’éduc’ de rue est avant tout celle de sujets humains en situation de travail socioéducatif avec d’autres sujets humains. Autrement dit, il y a la revendication très forte que ce sont les relations entre personnes accompagnées et personnes accompagnantes qui doivent donner son sens à l’activité, et que les enjeux relatifs à ces relations devraient primer par rapport à ce qui leur est extérieur. C’est la raison pour laquelle, aux antipodes des attitudes conformistes évoquées ci-dessus, un certain nombre de collègues préfèrent quitter leur emploi en prévention spécialisée plutôt que de reléguer les intérêts humains après les intérêts institutionnels.
Nous pouvons également reprendre, en guise d’illustration, la question du fichage nominatif évoqué ci-dessus et comparer avec d’autres situations observées lors de mes recherches ou de mes expériences professionnelles et militantes. Un jour, l’équipe qui m’accueillait pour mes recherches a consacré presque toute sa réunion hebdomadaire – en présence du chef de service et futur directeur – à structurer un positionnement et des arguments pour s’opposer à la demande du département de mettre en place le même genre de « fiche de suivi » que celles que, dans mon association, mon directeur imposait de sa propre initiative, avec le soutien de certains de mes collègues ! Contraste saisissant… mais moins que dans une autre situation vécue, cette fois-ci véritable affaire publique, lorsque des éduc’ de rue de Val-de-Marne m’ont contacté pour les aider à s’armer intellectuellement contre le projet du département d’imposer aux équipes de prévention spécialisée des fiches de suivi informatisées particulièrement détaillées. Après différents temps d’échange entre travailleur·euses du secteur, ainsi qu’un texte publié dans le magazine Lien Social, le département a accordé que les fiches soient anonymes…[14]
Dans la construction du sens de l’activité, différents mots et modes de pensée découlent de la priorité accordée à la relation humaine et aux subjectivités des personnes. Étudier ces espaces intellectuels est un aspect central de l’analyse des pratiques professionnelles dans une perspective anthropologique, comme je l’ai développé ailleurs[15]. Par souci de synthèse cependant, je dirais simplement que les postures revendiquées auxquelles renvoient ces modes de pensée et leurs articulations sont sous-tendues par un idéal socioéducatif. Cet idéal, c’est l’intention de cultiver l’autonomie des gens, c’est-à-dire les moyens et les fins d’une existence qui ait du sens à leurs propres yeux. Cette idéal implique, en pratique, d’abandonner toute volonté de maîtriser ou d’imposer un destin (un « parcours ») à la personne rencontrée, et par conséquent, amène à accepter une part majeure d’aléatoire, d’incertitude. Cette forme d’incertitude, loin d’abimer le sens du travail, au contraire le nourrit, le conforte, car elle indique la dimension non-mécanique, non-instrumentale de l’activité : elle confirme que celle-ci ne peut être uniquement pensée comme un travail d’exécution.
En guise de conclusion : métier du sens et sens du métier…
Au sein de l’espace intellectuel des travailleur·euses en prévention spécialisée, certaines entrées amènent à concevoir l’activité d’éduc’ de rue comme relevant plutôt de postures assignées, comme une fonction, tandis que d’autres entrées amènent à la voir comme relevant plutôt de postures revendiquées, comme un engagement. Cette posture revendiquée, cet engagement, est sous-tendu par l’idéal de cultiver l’autonomie des gens en partant de cette autonomie même. Cette vision du métier comme un engagement braque les projecteurs sur la principale contradiction face à laquelle celui-ci est mis par les processus d’institutionnalisation, à savoir : dans quelle mesure est-il possible de travailler avec autrui à fonder une vie autonome et sensée, tout en étant soi-même assigné à des manières de faire, de dire et de rendre compte du travail, voire à des manières de penser celui-ci ? Comment s’adapter aux aléas et à l’incertain de relations humaines devant cultiver l’autonomie, tout en étant soi-même assigné à une fonction professionnelle déterminée par les logiques internes de différents champs institués ?
Le contexte de travail dans lequel sont mis les éduc’ de rue a tant évolué qu’il n’est aucunement question de chercher à perpétuer un mythique esprit originel. Là n’est d’ailleurs pas la question. En effet, malgré un contexte général de gestionnarisation, de marchandisation, d’instrumentalisation du travail social – en un mot un contexte d’industrialisation comme je résume parfois un peu grossièrement (Louli, 2018, ibid.) – il y a toujours dans les relations humaines au service d’une vie autonome et sensée un « espoir » (Le Rest, 2019, p. 55) pour chacun et chacune. Perpétuer l’« espoir » implique de défendre celles et ceux qui animent ces relations au quotidien malgré les difficultés du contexte actuel, et de les soutenir pour qu’ils et elles se défendent eux-mêmes. Pour que si un jour quelque chose meurt, autre chose voie le jour ailleurs.
[1] Dont la plus grande partie a été publiée sous le titre suivant, d’où sont extraits la plupart des entretiens cités dans le présent article : Jonathan Louli, 2019, Le travail social face à l’incertain. La prévention spécialisée en quête de sens, Paris, L’Harmattan, Coll. Éducateurs et prévention (informations ici)
[2] Pascal Le Rest, 2019, Mais qui veut la mort de la prévention spécialisée ? Des premiers pas aux derniers jours, Paris, L’Harmattan, Coll. Éducateurs et prévention, p. 54
[3] Fernand Deligny, 2017, Les vagabonds efficaces, in Œuvres, Paris, L’Arachnéen, p. 204
[4] Henri Pascal, 2014, Histoire du travail social. De la fin du XIXe siècle à nos jours, Rennes, Presses de l’EHESP, p. 189
[5] Bernard Eme, 2011, « Postures assignées, usages revendiqués de la talvera », in Journal des anthropologues, n° Hors-série « Postures assignées, postures revendiquées », p. 39-40.
[6] Rémi Hess, 2006, « Institution » in Barus-Michel, J., Enriquez, E., Lévy, A. (dir.), 2006, Vocabulaire de la psychosociologie, Toulouse, Érès, p. 181 – 188
[7] Vincent Peyre, Françoise Tétard, 1985, « Les enjeux de la prévention spécialisée : 1956 – 1963 » in Bailleau, F., Lefaucheur, N., Peyre, V. (dir.), 1985, Lectures sociologiques du travail social, Paris, Les Éditions Ouvrières / Centre de recherche interdisciplinaire de Vaucresson, p. 116 – 132.
[8] Gilbert Berlioz, 2002, La prévention dans tous ses états. Histoire critique des éducateurs de rue, Paris, L’Harmattan, Coll. Éducateurs et prévention, p. 64.
[9] Jonathan Louli, 2017, « Prévention spécialisée : à propos du nouveau rapport (de forces) », en ligne sur www.jlouli.fr/
[10] Jonathan Louli, 2018, « Le travail social en voie d’industrialisation ? », in Le Sociographe, n°64, pp. 95-103 (disponible en ligne)
[11] Contrairement aux intérêts des employeurs et des « acteurs gestionnaires de la Prévention spécialisée », qui sont représentés auprès des pouvoirs publics par le Comité National de Liaison des Acteurs de la Prévention Spécialisée (CNLAPS).
[12] Paul Virilio, 1972, « Le jugement premier », in Esprit, n°413, p. 640 – 645.
[13] Tahar Bouhouia, 2010, « Perméabilité sociale et mutualisation des possibles, dans le domaine de l’action sociale, entre réseau endogène et réseau exogène », en ligne sur www.cedrea.net
[14] Jonathan Louli, 2017, « La prévention spécialisée secouée dans le Val-de-Marne », en ligne : https://www.jlouli.fr/la-prevention-specialisee-secouee-dans-le-val-de-marne/
[15] Jonathan Louli, 2019, Le travail social face à l’incertain. La prévention spécialisée en quête de sens, Paris, L’Harmattan, Coll. Éducateurs et prévention, p. 115-156. Cf. également : https://www.jlouli.fr/recherches-actions/