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L’industrialisation du travail social : un premier état des lieux

Politique Travail social

19 Oct 2017

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Version écrite de mon intervention à la tribune de l’Assemblée Générale du travail social qui s’est déroulée à la Bourse du Travail de Paris le 19 octobre 2017.

Ce texte ébauche un état des lieux général du travail social, inspiré d’un article que j’ai publié dans Le Progrès Social en 2016

Ma tâche est de dresser un état des lieux de la situation du travail social et de pourquoi nous sommes tous rassemblés ce soir.

Le moins qu’on puisse dire c’est qu’une multitude de fronts sont ouverts, et peuvent laisser pessimiste sur l’avenir du travail social. Par conséquent ce que je voulais faire c’est prendre quelques minutes pour vous proposer un concept, une grille de lecture, qui permette de prendre du recul sur la situation, et de tirer des conclusions.

Ce que je souhaite c’est vous proposer de faire le constat que les métiers de l’accompagnement social, éducatif et médicosocial subissent ce que j’appelle un processus d’industrialisation. Concrètement, cela signifie qu’ils deviennent de plus en plus un travail à la chaîne, un travail d’usine. Cela implique principalement trois dimensions.

La standardisation du travail et des pratiques

Cette dimension s’observe dans le travail social à travers le développement des procédés de management par la qualité, c’est-à-dire l’ensemble des procédures de travail, de gestion et d’évaluation qui sont formatées et imposées par en haut. Ces dispositifs et procédures ont pour objectif de faire entrer le réel dans toute sa complexité, sa diversité et son imprévisibilité dans les cases de tableaux de bord, fiches de suivi, procédures gestionnaires… 

Cela a pour conséquence que de plus en plus travailleurs de terrain n’arrivent plus à parler et à rendre compte correctement de leur travail, celui perd de son sens, il est défini par ceux qui imposent les outils pour le gérer et l’évaluer.

Le standardisation du travail s’observe également, dans une certaine mesure, à travers les réformes récentes des formations en travail social, et spécifiquement la dernière refonte, qui doit entrer en vigueur l’an prochain. Effacer les spécificités professionnelles construites à travers de longues décennies d’évolution engendre nécessairement une uniformisation des pratiques.

La marchandisation du secteur

Elle s’observe notamment à travers l’ouverture de différents secteurs à des logiques purement marchandes ou à des acteurs marchands : c’est le cas pour le secteur de la petite enfance ou celui des personnes âgées (des salariés des maisons de retraite Korian étaient là pour témoigner). Mais la marchandisation s’observe également par le changement des modes de financement du social : politiques d’austérité pour les secteurs publics et associatifs, mise en place d’appels à projet qui génère une mise en concurrence des structures et au final la loi du plus fort, lancement des Contrats à Impacts Sociaux  qui initient une logique d’investissement purement financière. Toutes ces logiques font de plus en plus passer l’intérêt économique avant l’intérêt général et la solidarité.

La précarisation des travailleur·euses

La précarisation des travailleur·euses commence avant même qu’ils soient travailleurs : les étudiants ont les plus grandes difficultés à trouver de bonnes condition de stages alors qu’ils sont payés une misère (3,6€ de l’heure). Les professionnels sans ancienneté touchent un salaire inférieur au salaire médian français (ils font partie des 50% de la population qui touche moins de 1800€ net) et en général les travailleurs sociaux touchent moins que le salaire moyen français (2200€ net). Sous ce point de vue, le travail social ressemble de plus à un lieu où des pauvres essaient d’aider des très pauvres à s’en sortir. Par ailleurs il faut garder à l’esprit que les travailleur·euses sociaux sont majoritairement des travailleuses sociales, ce qui implique d’autres inégalités en milieu professionnel.

Le secteur social est de plus en plus exposé aux licenciements à cause des logiques marchandes et politiques d’austérité, comme le montre le secteur de la protection de l’enfance, notamment dans le Maine et Loire. Dans cette logique vient s’inscrire le syndicat patronal Nexem (le MEDEF du travail social) qui veut niveller par le bas les Conventions collectives (c’est-à-dire les des droits des travailleurs : salaires, congés, conditions de travail etc.) C’est la même logique que n’importe quel lobby patronal : défendre les intérêts des employeurs.

Que voit-on au final à travers ce que j’appelle cette logique d’industrialisation ? On voit hauts fonctionnaires et des agents de politiques publiques largement de collusion avec des lobbies financiers et patronaux, se rejoindre dans une vision : il faut privatiser, rendre rentable, mais pour cela, contrôler la qualité et les procédures de travail. La plupart du temps, cette vision s’applique sans consulter les acteurs de terrain et encore moins les personnes accompagnées. C’est même souvent une vision qui est opposée aux intérêts des travailleurs de terrain et des personnes accompagnées. Finalement, ce processus d’industrialisation du travail social, à mon sens, n’est qu’une conséquence de ce qu’on appelle, de plus en plus souvent, les luttes de classes. Les détenteurs de pouvoir défendent leurs intérêts en étant convaincus que ça peut éventuellement être bon pour l’intérêt général. Peut-être que si l’on doit devenir petit à petit des ouvriers du social, il faudrait se questionner sur le rapport entre le travail social, les luttes de classes, et le mouvement ouvrier. Et affirmer que nous, tous ensemble, savons mieux qu’eux ce qu’est l’intérêt général.

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