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Qu’est-ce que la socio-anthropologie ?

Sociologie et Anthropologie

05 Fév 2015

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Couverture du livre "Être socio-anthropologue aujourd'hui ?"

Note de lecture de :

Jean-Michel Bessette (dir.), Etre socio-anthropologue aujourd’hui ?, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2014, 165 p.

Disponible à l’adresse suivante : Lectures

Site de l’éditeur : L’Harmattan

En 2012, le Département et le Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie de l’université de Franche-Comté ont organisé une journée d’étude sur « la situation du socio-anthropologue en 2012 » (p. 11), qui a abouti à la publication de ce recueil dirigé par Jean-Michel Bessette. Les divers participants y font le constat d’une situation critique des sciences humaines, de l’enseignement supérieur, et surtout, de la socio-anthropologie ; situation qui a motivé un ensemble de chercheurs à faire un point et à réfléchir à la perpétuation de la socio-anthropologie comme métier et comme approche intellectuelle. Être socio-anthropologue aujourd’hui est avant tout une question de « posture », d’« attitude », proposent ainsi à l’unisson les auteurs des contributions rassemblées dans le présent ouvrage.

Dans un contexte de difficultés croissantes, provenant notamment des politiques publiques, certains chercheurs considèrent d’abord que réinscrire la discipline dans une tradition de pensée peut améliorer les possibilités de réflexivitéÉric Vauthelin estime ainsi que l’attention à certains penseurs classiques (Karl Marx, Max WeberÉmile Durkheim) peut nous aider à recouvrer une posture de « jeunesse » similaire à celle qui était la leur en tant que fondateurs, c’est-à-dire une posture de refus actif de l’ordre établi, qui peut favoriser des alternatives face à la « finitude » et l’inquiétude du monde, étant entendu que « nous savons désormais que nous sommes infinis, de raison, de recherche, de désir et de volonté, d’histoire et de puissance, même de consommation, et que la nature face nous, est finie » (p. 27). Dans une perspective similaire, François de Chassey part de la distinction opérée par Claude Lévi-Strauss entre ethnographie, ethnologie et anthropologie, et plaide pour un décloisonnement de ces actes qui permettrait de les considérer comme les moments d’un même processus, d’une même posture, qu’on peut apercevoir plus concrètement en observant des parcours de chercheurs – en l’occurrence ici celui de l’auteur de la contribution lui-même, et celui de Germaine Tillion.

Le second grand axe autour duquel s’articulent les contributions est celui des méthodologies concrètes qui peuvent caractériser la socio-anthropologie. Line Pedersen approfondit la réflexion sur la posture du socio-anthropologue en l’enrichissant des options théoriques de l’interactionnisme symbolique et de l’ethnométhodologie [1] : l’auteure propose une posture de participation et de reconnaissance intersubjective entre chercheur et personne(s) étudiée(s), passant notamment par la reconnaissance du « savoir incarné » des acteurs sociaux. Ce qui induit, comme a pu le proposer Jeanne Favret-Saada, de savoir « se perdre » et « tâtonner » sur le terrain de recherche. L’ethnologue française, rendue célèbre par ses travaux sur la sorcellerie dans le bocage normand [2], inspire à l’auteure de la contribution l’idée qu’il faut, en tant que socio-anthropologue, « éprouver » le terrain de recherche, tout se en tenant à distance d’un « positivisme caractérisé par son exigence d’objectivation et par la distance qu’il entretient avec le monde qu’il tente de comprendre » (p. 80). Lucie Jouvet, quant à elle, souligne l’intérêt et l’importance de prendre en compte une multiplicité de points de vue, d’angles d’attaque, de disciplines diverses quant à un même objet de recherche, ce qui peut être favorisé par la méthode de l’étude de cas, longuement illustrée par deux terrains de l’auteure : les erreurs judiciaires et la « détresse » des exploitants agricoles. Le premier terrain a ainsi mis en valeur, selon l’auteure, la possibilité et l’importance de mobiliser divers niveaux d’analyse, auxquels correspondent autant de perspectives disciplinaires : l’ethnographie des acteurs et des lieux de la justice, la sociologie des ressources et rapports des acteurs, la psychologie des aveux et de la conviction lors des jugements, l’histoire du droit, les procédures juridiques, ou encore l’esthétique des visions médiatiques. Le second terrain présentait l’opportunité d’un travail au sein d’une équipe internationale et pluridisciplinaire, qui a eu l’avantage de favoriser le comparatisme international, mais qui a présenté l’inconvénient de devenir une véritable « Babel », du fait de la diversité des langues et des traditions de pensée, qui compliquait le travail. De la même façon, Laetitia Ogorzelec cherche à mettre en valeur la richesse, dans le processus de recherche, d’une étude des dossiers. Cette méthode permet tout d’abord d’appréhender indirectement le fonctionnement des institutions qui les produisent, en ceci que les dossiers sont les témoins et les « traces » des modalités de justification et de prise de décision des acteurs institutionnels. Elle permet également de réfléchir à l’évolution des modes de constitution et de reconnaissance de la personne, ce surtout dans un contexte où l’informatisation croissante des données porte des conséquences encore mal mesurées.

Le dernier axe de réflexion des auteurs est un questionnement sur la posture en tant que telle, voire l’« identité » du socio-anthropologue. Bruno Péquignot suggère que la posture classique de socio-anthropologue critique semble dater d’une époque passée. Par conséquent, si les socio-anthropologues souhaitent poursuivre de façon constructive la critique, peut-être gagneraient-ils à réinterroger cette posture qui est la leur : l’époque a changé, et, avec elle, les « adversaires » également. En effet, dans les années de reconstruction qui suivent la seconde guerre mondiale beaucoup de chercheurs, dont l’auteur, estimaient « qu’il était peut-être temps de dire que cette division disciplinaire était plus administrative ou budgétaire qu’épistémologiquement fondée » (p. 110). L’anthropologie attirait et fédérait ces chercheurs à travers son approche « « globale » ou multidimensionnelle » ainsi que par l’attention conférée à la « parole indigène ». Dorénavant ce n’est plus la diversité des sciences sociales qui pose problème aux socio-anthropologues, mais c’est plus largement l’attaque faite à ces disciplines par « la déferlante cognitiviste et ses chevau-légers biologisants, neuro-sciences et génétique » (p. 117). Patrick Baudry cherche lui aussi à favoriser la remise en question de la discipline, ou, plus particulièrement, des paradigmes de la « pluri-disciplinarité » et de l’« inter-disciplinarité », à une époque où ceux-ci risquent d’être instrumentalisés par les politiques publiques. En effet, comme Bruno Péquignot, Patrick Baudry considère comme datée l’exigence d’« inter-disciplinarité », c’est-à-dire un regard qui en soi mobilise une diversité de disciplines pour étudier un objet ; en outre cette exigence s’est la plupart du temps muée en une simple « pluri-disciplinarité », c’est-à-dire qu’un tenant d’une discipline particulière en mobilise une palette d’autres, mais dans une démarche qui « ne peut faire sens que depuis la maîtrise d’une discipline » (p. 120). Selon l’auteur il faut donc, peut-être plus simplement, considérer la sociologie et l’anthropologie comme « complémentaires », tout en mesurant les implications épistémologiques et méthodologiques d’une telle observation : la sociologie « s’intéresse au social (organisation, reproduction, logiques, structurations, mutations…) et le regard anthropologique apporte à cette analyse une exigence qui tient aux enjeux de sens des pratiques » (p. 135). La première tend à « une rupture avec le sens commun », la seconde « conduit à l’examen des détails » (p. 132). De la même façon, Dominique Jacques-Jouvenot et Sylvie Guigon questionnent « l’identité professionnelle » du socio-anthropologue en tant que chercheur et en tant qu’enseignant, dans un contexte assez défavorable à la transmission générationnelle des savoirs du métier. Enfin, Jean-Michel Bessette conclut l’ouvrage en ouvrant le champ du débat : reprenant notamment des analyses du fameux anthropologue et archéologue André Leroi-Gourhan[3], il interroge le « sujet » de l’anthropologie – l’humain – et sa situation actuelle, considérablement informée par la « société techno-industrielle marchande et bureaucratique » (p. 157) ; questionnement d’autant plus important qu’une évolution du « sujet » de la discipline entraîne une évolution de la discipline elle-même. L’ouvrage se conclut sur un appel aux sciences sociales critiques diffusé en 2013 [4], qui suggère positivement que la réunion de chercheurs ayant abouti à cette publication est un pas de plus, mais pas le dernier, pour des sciences sociales à vocation émancipatrice.

En conclusion, l’ouvrage en tant que tel brille par la diversité et la sincérité des contributions, qui témoignent d’un « engagement » pour une discipline que les chercheurs ne pensent pas comme anodine. La socio-anthropologie, pratique et pensée multiple, tendue vers un idéal d’affranchissement humain, semble bien présentée et représentée par l’hétérogénéité des textes rassemblés, qui insistent encore sur un point important : cette tradition intellectuelle est en chantier. C’est autour de la question de la continuité et de la transmission de cette tradition que les auteurs appellent à réfléchir, et donc sur son affiliation à un long passé intellectuel. C’est également autour des méthodes, qui peuvent être souples, artisanales, ou innovantes, tant la socio-anthropologie embrasse une variété d’objets. C’est enfin sur la réflexivité et la posture du chercheur, donc sur son engagement, que des pistes de réflexion sont ouvertes. Gageons que l’ouvrage amènera plus d’un chercheur apprenti ou confirmé à s’intéresser à cette approche originale.

Notes de bas de page :

[1] Mettant en valeur les apports de l’« analyse par théorisation ancrée », elle rappelle que les problèmes sociaux sont construits par une multitude d’acteurs qui développent tous des « savoirs » revendiquant une légitimité, et que, par conséquent, en investiguant les points de vue de ces acteurs et leurs « métaphysiques » respectives, on peut approfondir l’analyse d’un problème social en appréhendant des dimensions périphériques car relevant des « expériences » subjectives.

[2] Favret-Saada Jeanne, Les mots, la mort, les sorts, Gallimard, Paris, 1977.

[3] Leroi-Gourhan André, Le geste et la parole, Paris, Albin-Michel, 1964–1965.

[4] Voir la tribune en ligne : http://lectures.revues.org/9396

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Commentaires

    El jirari Abdelkabir - 16 novembre 2023 à 13h59

    Très intéressant,me semble-il

    Bedlove PIERRE - 20 novembre 2023 à 22h05

    Très important ,et intéressant.

    Zakari - 19 juin 2024 à 18h37

    j’ai besoin de faire sur le concept socioanthropologie

    Pitshou kumbi - 17 septembre 2024 à 14h21

    Comment accéder a l’intégralité de cette connaissance depuis l’Afrique

    Traoré Oumar - 4 novembre 2024 à 16h57

    C’est vraiment super

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